Conclusion (partielle) du rapport
Le scénario allemand vise à ne pas retenir le nucléaire, en misant essentiellement sur les renouvelables. Si on parle beaucoup des énergies nouvelles renouvelables, il faut constater que l’essentiel reposera sur la classique et traditionnelle biomasse, assurant 30 % des besoins de production énergétique primaire. L’éolien, la championne des énergies nouvelles renouvelables assure 9 % des besoins de production énergétique, mais l’apport du photovoltaïque, pourtant tant médiatisé, n’a qu’un rôle limité à 2 %.
Mais comme les renouvelables producteurs d’électricité ont des limites essentiellement liées à l’intermittence, s’il faut fortement réduire les usages de l’électricité de 23 %, il faut aussi commencer à miser sur la séquestration du gaz carbonique et surtout faire appel à de l’électricité importé.
Pour illustrer ce dernier point nous pouvons examiner un graphique montrant l'évolution des échanges d'électricité entre la France et l'Allemagne. Pour mémoire, la France, traditionnellement, exporte de l'électricité de base de manière régulière sauf pendant les heures de pointes où c'est l'Allemagne qui exporte vers la France. Le graphique qui a pour but de montrer des importations Allemandes plus importantes est donc centré sur une heure de pointe afin de mettre en évidence l'inversion du sens des exportations liée à l'arrêt des centrales nucléaire Allemandes.
Entre 19h et 20h on importait une puissance équivalente à 3 centrales et maintenant on exporte une puissance équivalente à plus de deux centrales.
L'exemple de la Suisse
L’Allemagne, ainsi, a entamé une transition radicale en renonçant au nucléaire après la catastrophe de Fukushima. Quel bilan en tirez-vous ?
C’est un échec, aussi bien en termes environnementaux qu’en termes économiques. Si l’on considère le mix énergétique, les résultats ne sont pas à la hauteur des investissements consentis. La comparaison avec la France est instructive. Le programme nucléaire français, ce sont 63 gigawatts installés en 20 ans entre 1970 et 1990. Les énergies renouvelables en Allemagne, ce sont 60 gigawatts installés en 20 ans depuis 1993. Sur le papier, ces chiffres peuvent sembler équivalents. Les coûts totaux sont également proches : 96 milliards d’euros pour la France (mais on peut estimer qu’elle n’a pas assez investi en fin de période) et 120 milliard d’euros pour l’Allemagne. La grosse différence, c’est la production : le nucléaire français produit 410 térawatt heures et contribue à 75% de la production d’électricité en France, alors que le renouvelable allemand produit 75 térawatt heures et contribue à 15% de l’électricité allemande. C’est-à-dire à 3 ou 4% du mix énergétique national. La sortie de l’Allemagne du nucléaire est une décision peu rationnelle, qui s’explique bien davantage par le contexte politique que par une rationalité économique.
L’audace allemande ne peut donc servir de base à un modèle général de transition énergétique ?
Surtout pas. Le choix allemand est très contestable car, pour remplacer le nucléaire, l’Allemagne a augmenté sa dépendance en gaz naturel vis-à-vis de la Russie et elle a rouvert massivement les centrales à charbon et à lignite. Plus du quart de la production d’électricité en Allemagne provient du lignite (la catégorie de charbon la plus polluante), et cette proportion augmente : elle est passée de 23% en 2010 à 25,8% en 2013.? Selon les travaux de modélisation de l’Université de Stuttgart, la pollution produite par les centrales au charbon, principalement allemandes et polonaises, provoquerait chaque année environ 5000 décès en Pologne, 3000 en Allemagne et 1000 en France. Il est vrai qu’aujourd’hui, grâce notamment à l’envolée du gaz de schiste américain qui a fait chuter les prix du charbon, ce dernier est la source d’énergie la moins chère. L’ « Energiewende » a ainsi apporté à l’Allemagne une augmentation de la production de CO2, mais aussi de particules fines de soufre et d’autres minéraux issus de la combustion du charbon.
En outre, même si le charbon est peu onéreux l’énergie électrique produite par les renouvelables a un coût et l’essentiel de ce coût est supporté par les ménages. Les prix allemands de l’électricité sont les plus élevés d’Europe, à l’exception de ceux du Danemark, champion d’Europe pour les émissions de CO2 et le développement de l’éolien. L’Allemagne a sans doute cru pouvoir faire émerger de nouvelles filières industrielles, dans le solaire notamment, mais elle a tout simplement sabordé la compétitivité qui faisait sa force, même si les industriels, notamment les électro-intensifs, sont largement exemptés du paiement des surcoûts (« Umlage ») associés à l’Energiewende.
Enfin, dans le cadre d’un marché européen de l’électricité partiellement intégré, la montée en puissance des énergies intermittentes en Allemagne a eu des effets dommageables pour ses voisins. Le 11 mai 2014 restera à cet égard comme une date historique. Ce jour-là, le pays a atteint 75% de taux de renouvelable dans sa production électrique, mais cette électricité s’exportait à des prix négatifs ! Car, on le sait peu, avec la priorité d’accès au réseau donnée aux renouvelables, les autres exploitants sont obligés de jongler avec leur propre production et ils ne peuvent arrêter leurs installation : même en les faisant tourner au minimum, ils sont donc prêts à payer pour mettre de l’électricité dans le réseau.
Au total, l’expérience allemande incite à s’interroger sur la pertinence du volontarisme politique en matière de transition énergétique. Tout d’abord une décision isolée n’a guère de sens et guère de portée : les effets négatifs sont nombreux, y compris pour l’environnement. C’est d’autant plus dommage que les premiers éléments d’une politique européenne de l’énergie existent déjà. Ensuite, en ce qui concerne les facteurs très divers qui permettent d’instruire la décision (par exemple, les futurs prix mondiaux du gaz ou du charbon, ou encore la gestion des réseaux électriques avec un fort pourcentage de renouvelables, ou les performances du photovoltaïque sur la durée, etc.), nous naviguons à vue, et forcer une décision semble périlleux.