RÉUSSIR LA TRANSITION
 

Ce site essaye d'analyser l'impact de l'énergie et de sa production sur le développement.
L'auteur de ce site se considère comme prônant l'écologie, bien qu'il soit favorable à l'énergie nucléaire.
La justification de ce point de vue est l'un des sujets abordés dans ce site.

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Introduction

 
De plus en plus de voix s'élèvent pour exhorter le public, ainsi que les décideurs politiques gouvernementaux, à accepter la nécessité - en fait, l'inévitabilité - de la transition de la société vers une "nouvelle économie énergétique" (voir Le Pic des Hydrocarbures est au coin de la rue). Ses partisans affirment que les changements technologiques rapides deviennent si perturbateurs et que l'énergie renouvelable devient si peu coûteuse si rapidement qu'il n'y a aucun risque économique à accélérer le passage à un monde post-hydrocarbures qui n'a plus besoin d'utiliser beaucoup, voire pas du tout, de pétrole, gaz naturel ou charbon.
 
Au cœur de cette vision du monde se trouve la proposition selon laquelle le secteur de l'énergie subit le même genre de bouleversements technologiques que la technologie de la Silicon Valley a apporté à tant d'autres marchés. En effet, selon les partisans de la nouvelle économie de l'énergie, les entreprises énergétiques de l'" ancienne économie " sont un mauvais choix pour les investisseurs, car les actifs des entreprises d'hydrocarbures deviendront bientôt sans valeur ou " échoués "[1]. Parier sur les entreprises d'hydrocarbures aujourd'hui est comme parier sur Sears plutôt que sur Amazon il y a une décennie.

 
 
Le Pic des Hydrocarbures est au coin de la rue
 
     
 
“ [Les énergies propres sont] l’exemple parfait d'un processus exponentiel de 10 fois qui va éliminer les combustibles fossiles du marché d'ici une dizaine d'années." -Tony Seba, économiste à Stanford
 
“ Jusqu'à présent, les observateurs ont surtout prêté attention à l'efficacité probable des politiques climatiques, mais pas à la transition technologique[énergétique] en cours qui est effectivement irréversible." - Jean-François Mercure, Université de Cambridge
 
“ D'ici 2030, le coût [du solaire] pourrait être si proche de zéro qu'il sera dans les faits gratuit." - Sam Arie, analyste de recherche UBS
 
“ Le monde connaît une transformation énergétique globale induite par les changements technologiques et les nouvelles priorités politiques." - Union européenne, Rapport de mission possible pour le G20
 
“ Un virage mondial vers l'énergie propre est en cours, mais il reste encore beaucoup à faire."  - Lettre au Sommet du G7 de 288 des plus grands investisseurs du monde
 
“ Une taxe sur le carbone devrait augmenter chaque année jusqu'à ce que les objectifs de réduction des émissions soient atteints [ce qui] ... encouragera l'innovation technologique [sans carbone] et le développement de grandes infrastructures." - Plan Baker-Shultz, signé par des économistes, des Nobel, des présidents de la Réserve fédérale, etc.
 
“ Les technologies vertes, comme les piles et l'énergie solaire et éolienne, s'améliorent beaucoup plus rapidement que beaucoup ne le pensent... C'est le plus grand remaniement de l'économie depuis la révolution industrielle." - Jeremy Grantham, investisseur, milliardaire
 
“ Le remplacement des smartphones ne semblait pas plus imminent au début des années 2000 que la substitution énergétique à grande échelle ne le sembleaujourd'hui." - Fonds monétaire international
 
 
     
Source : Tony Seba, "Clean Disruption" (vidéo), Stanford University, 2017 ; Jean-François Mercure cité dans Steve Hanley, "Carbon Bubble About to Burst, Leaving Trillions in Stranded Assets Behind, Claims New Research", Clean Technica, 5 juin 2018 ; Sam Arie, "Renewables Are Primed to Enter the Global Energy Race", Financial Times, août. 13, 2018 ; OCDE, "Mission Possible", Commission de transition énergétique, novembre 2018 ; Steve Hanley, "Ahead of G7 Meeting, Investors Urge an End to Coal Power & Fossil Fuel Subsidies", Clean Technica, 5 juin 2018 ; "Economists' Statement on Carbon Dividends ; "Investing Prophet Jeremy Grantham Takes Aim at Climate Change", Bloomberg, janvier. 17, 2019 ; Wall Street Journal, 16 janvier 2019 (plan Baker-Shultz) ; Fonds monétaire international, "Riding the Energy Transition : Le pétrole au-delà de 2040 ", mai 2017      
 
"Mission Possible", un rapport publié en 2018 par une commission internationale de transition énergétique, a cristallisé cet ensemble croissant d'opinions des deux côtés de l'Atlantique[2]. Pour " décarboniser " l'utilisation de l'énergie, le rapport appelle le monde à s'engager dans trois actions " complémentaires " : déployer énergiquement les énergies renouvelables ou les technologies dites propres, améliorer l'efficacité énergétique et limiter la demande énergétique.
 
Cette prescription devrait vous sembler familière, car elle est identique à un consensus quasi universel en matière de politique énergétique qui s'est formé après l'embargo pétrolier arabe de 1973-1974 lequel avait choqué le monde entier. Mais si les politiques énergétiques du dernier demi-siècle ont été animées par la crainte de l'épuisement des ressources, on craint aujourd'hui que la combustion des hydrocarbures en abondance dans le monde ne libère des quantités dangereuses de dioxyde de carbone dans l'atmosphère.
 
Certes, l'histoire montre que de grandes transitions énergétiques sont possibles. La question clé aujourd'hui est de savoir si le monde est à l'aube d'une telle transition.
 
En bref, la réponse est non. La thèse selon laquelle le monde pourrait bientôt abandonner les hydrocarbures comporte deux failles fondamentales. La première : les réalités de la physique ne permettent pas aux domaines de l'énergie de subir le genre de changement révolutionnaire que l’on trouve à l’avant-garde des technologies numériques. La seconde : aucune technologie énergétique fondamentalement nouvelle n'a été découverte ou inventée en près d'un siècle - certainement, rien d'analogue à l'invention du transistor ou de l'Internet.
 
Avant d'expliquer ces failles, il est préférable de comprendre les contours de l'économie énergétique actuelle basée sur les hydrocarbures et pourquoi son remplacement serait une entreprise monumentale, voire impossible.
 

Les politiques « Objectif Lune » et le défi de l'échelle

 
L'univers est inondé d'énergie. Pour l'humanité, le défi a toujours été de fournir de l'énergie d'une manière utile qui soit à la fois tolérable et disponible lorsqu'elle est nécessaire, et non lorsque la nature ou la chance l'offre. Qu'il s'agisse du vent ou de l'eau en surface, de la lumière du soleil ou des hydrocarbures enfouis profondément dans le sol, la conversion d'une source d'énergie en énergie utile nécessite toujours des infrastructures à forte intensité de capital.
 
Compte tenu de la population mondiale et de la taille des économies modernes, l'échelle est importante. En physique, lorsqu'on tente de changer un système, il faut composer avec l'inertie et diverses forces de résistance ; il est beaucoup plus difficile de tourner ou d'arrêter un Boeing qu'un bourdon. Dans un système social, il est beaucoup plus difficile de changer l'orientation d'un pays qu'une communauté locale.
 
La réalité d'aujourd'hui : les hydrocarbures - pétrole, gaz naturel et charbon - fournissent 84 % de l'énergie mondiale, une part qui n'a diminué que modestement par rapport à 87 % il y a deux décennies (figure 1)[3]. Au cours de ces deux décennies, la consommation énergétique mondiale totale a augmenté de 50 %, soit l'équivalent de deux fois la demande totale des États-Unis[4].

 
 
La faible baisse en pourcentage de la part des hydrocarbures dans la consommation mondiale d'énergie a nécessité des dépenses mondiales cumulatives de plus de deux mille milliards de dollars pour des solutions de rechange au cours de cette période[5]. Les images populaires des champs couverts d'éoliennes et des toits chargés de cellules solaires ne changent rien au fait que ces deux sources énergétiques fournissent actuellement moins de 2% de l'approvisionnement énergétique mondial et 3% de l'approvisionnement énergétique aux États-Unis.
 
Le défi de l'échelle pour toute transformation des ressources énergétiques commence par une description. Aujourd'hui, les économies mondiales ont besoin d'une production annuelle de 35 milliards de barils de pétrole, plus l'équivalent énergétique de 30 milliards de barils de pétrole provenant du gaz naturel, plus l'équivalent énergétique de 28 milliards de barils de pétrole supplémentaires provenant du charbon. En termes visuels : si tout ce carburant était sous forme de pétrole, les barils formeraient une ligne allant de Madrid à Moscou, et cette ligne entière s'élèverait d'une Tour Montparnasse tous les huit jours.
 
Pour remplacer complètement les hydrocarbures au cours des 20 prochaines années, la production mondiale d'énergie renouvelable devrait être multipliée au moins par 90[6]. Contexte : il a fallu un demi-siècle pour que la production mondiale de pétrole et de gaz soit multipliée par 10[7]. Il est illusoire de penser, indépendamment des coûts, que toute nouvelle infrastructure énergétique pourrait maintenant se développer neuf fois plus que cela en moins de la moitié du temps.
 
Si l'objectif initial était plus modeste - par exemple, remplacer les hydrocarbures uniquement aux États-Unis et uniquement ceux utilisés pour la production d'électricité - le projet nécessiterait un effort industriel supérieur à un niveau de mobilisation de la Seconde Guerre mondiale[8]. Une transition vers l'électricité 100 % sans hydrocarbures d'ici 2050 nécessiterait un programme de construction du réseau américain 14 fois plus important que le taux d'expansion du réseau qui s'est produit au cours du dernier demi-siècle[9].
 
Ensuite, pour terminer la transformation, il faudrait plus que doubler cet effort prométhéen pour s'attaquer aux secteurs non électriques, où 70 % des hydrocarbures américains sont consommés. Et tout cela n'affecterait que 16 % de la consommation mondiale d'énergie, la part américaine.
 
Ce défi de taille suscite une réponse commune : "Si nous pouvons mettre un homme sur la Lune, nous pouvons sûrement [remplir le vide avec n'importe quel objectif ambitieux]". Mais transformer l'économie de l'énergie, ce n'est pas comme envoyer quelques personnes sur la lune plusieurs fois. C'est comme mettre toute l'humanité sur la Lune, en permanence.

 

Les coûts réels induits par la physique de l'énergie éolienne et solaire

 
Les technologies qui encadrent la vision de la nouvelle économie de l'énergie se résument à trois choses : les éoliennes, les panneaux solaires et les batteries[10]. Bien que les batteries ne produisent pas d'énergie, elles sont essentielles pour assurer que l'énergie éolienne et solaire épisodique soit disponible pour les maisons, les entreprises et les transports.
 
Pourtant, les éoliennes et l'énergie solaire ne sont pas en soi des sources d'énergie "nouvelles". L'éolienne moderne est apparue il y a 50 ans et a été rendue possible grâce à de nouveaux matériaux, notamment la fibre de verre à base d'hydrocarbures. La première technologie solaire commercialement viable remonte également à un demi-siècle, tout comme l'invention de la batterie au lithium (par un chercheur d'Exxon)[11].
 
Au fil des décennies, ces trois technologies se sont considérablement améliorées et sont devenues environ dix fois moins chères[12]. Subventions mises à part, cela explique pourquoi, au cours des dernières décennies, l'utilisation de l'énergie éolienne et solaire s'est tant développée à partir d'une base pratiquement nulle.
 
Néanmoins, la technologie de l'éolien, du solaire et des batteries continuera de s'améliorer, dans certaines limites. Ces limites ont une grande importance - nous en reparlerons plus loin - en raison de l'écrasante demande d'énergie dans le monde moderne et des réalités des sources d'énergie offertes par Dame Nature.

 
 
Avec la technologie d'aujourd'hui, des panneaux solaires d'une valeur d'un million de dollars produiront environ 40 millions de kilowattheures (kWh) sur une période d'exploitation de 30 ans (figure 2). Il en va de même pour l'éolien : une éolienne moderne d'une valeur de 1 million de dollars produit 55 millions de kWh au cours des 30 mêmes années[13]. Entre-temps, le matériel d'une installation de forage de schistes d'une valeur d'un million de dollars produira suffisamment de gaz naturel sur 30 ans pour produire plus de 300 millions de kWh[14], ce qui représente environ 600 % de plus d'électricité pour le même capital consacré au matériel produisant de l'énergie primaire[15].
 
Les différences fondamentales entre ces ressources énergétiques peuvent également être illustrées en termes d'équipements individuels. Pour le coût de forage d'un seul puits de schiste, on peut construire deux éoliennes de 2 mégawatts (MW) de 500 pieds de haut. Ces deux éoliennes produisent une production combinée qui s'élève en moyenne au fil des ans à l'équivalent énergétique de 0,7 baril de pétrole par heure. Le même montant dépensé pour un seul appareil de forage de schistes produit 10 barils de pétrole à l'heure, ou son équivalent énergétique en gaz naturel, en moyenne au fil des décennies[16].
 
L'énorme disparité dans la production résulte des différences inhérentes aux densités énergétiques qui sont des caractéristiques de la nature ne répondant ni aux aspirations publiques ni aux subventions gouvernementales. La haute densité énergétique de la physico-chimie des hydrocarbures est unique et bien comprise, tout comme la science sous-jacente à la faible densité énergétique inhérente à la lumière solaire de surface, aux volumes de vent et à la vitesse[17].

Peu importe ce que les gouvernements imposent aux services publics de payer pour cette production, la quantité d'énergie produite est déterminée par la quantité de lumière solaire ou éolienne disponible sur une période donnée et par la physique des rendements de conversion des cellules photovoltaïques ou des turbines éoliennes.
 
Ce genre de comparaison entre l'éolien, le solaire et le gaz naturel illustre le point de départ pour rendre une ressource énergétique brute utile. Mais pour que toute forme d'énergie devienne une source d'énergie primaire, une technologie supplémentaire est nécessaire. Pour le gaz, on dépense nécessairement de l'argent dans un turbogénérateur pour convertir le combustible en électricité du réseau. Dans le cas de l'éolien et du solaire, il faut dépenser de l'argent pour une certaine forme de stockage afin de convertir l'électricité intermittente en électricité de qualité disponible sur commande pour l’alimentation publique, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.
 
Le coût élevé d'assurer la disponibilité de l'énergie
 
La disponibilité est la caractéristique la plus critique de toute infrastructure énergétique, suivie par le prix, puis par la recherche éternelle d'une diminution des coûts sans affecter la disponibilité. Avant l'ère de l'énergie moderne, le progrès économique et social était entravé par la nature épisodique de la disponibilité énergétique. C'est pourquoi, jusqu'à présent, plus de 90 % de l'électricité américaine et 99 % de l'énergie utilisée dans les transports proviennent de sources qui peuvent facilement fournir de l'énergie à tout moment sur demande[18].
 
Dans notre société centrée sur les données, de plus en plus électrifiée, avoir une énergie électrique toujours disponible est vital. Pour les systèmes à base d'hydrocarbures, la disponibilité est pilotée par le coût de l'équipement qui peut convertir le combustible en énergie de façon continue pendant au moins 8 000 heures par année, pendant des décennies[19]. D’un autre côté, il est intrinsèquement facile de stocker le combustible associé pour faire face à des poussées de demande prévues ou inattendues, ou à des défaillances de livraison dans la chaîne d'approvisionnement causées par les conditions météorologiques ou par des accidents.
 
Il en coûte moins de 1 $ le baril pour stocker du pétrole ou du gaz naturel (en équivalent pétrole-énergie) pendant quelques mois[20]. Le stockage du charbon est encore moins cher. Il n'est donc pas surprenant que les États-Unis aient, en moyenne, environ un à deux mois de demande nationale en stockage pour chaque type d'hydrocarbure à un moment donné[21].
 
En revanche, au lieu de mois, c’est à peine deux heures de demande nationale d'électricité qui peuvent être stockées dans le total combiné de toutes les batteries du réseau et de toutes les batteries du million de voitures électriques qui existent actuellement en Amérique[23].
Dans le cas du vent et du soleil, les caractéristiques qui pilotent le coût de la disponibilité sont inversées par rapport aux hydrocarbures. Bien que les panneaux solaires et les éoliennes s'usent et nécessitent également de l'entretien, la physique et donc les coûts supplémentaires de cette usure sont moins difficiles à accepter que ceux des turbines utilisant des combustibles. Mais l'électrochimie complexe et relativement instable des batteries font que c’est un moyen intrinsèquement plus coûteux et moins efficace de stocker l'énergie et d'en assurer la disponibilité.
Comme les hydrocarbures sont si facilement stockés, les centrales électriques conventionnelles inactives peuvent être augmentées ou diminuées en régime en fonction de la demande cyclique d'électricité. Les éoliennes et les panneaux solaires ne peuvent pas changées de régime lorsqu'il n'y a ni vent ni soleil. D'un point de vue géophysique, les éoliennes et les machines alimentées par la lumière du soleil produisent de l'énergie, en moyenne sur une année, environ 25 à 30 % du temps, souvent moins[24], mais les centrales électriques classiques ont une " disponibilité " très élevée, entre 80 et 95 %, et souvent plus[25].
 
Un réseau électrique éolien/solaire devrait être dimensionné pour à la fois répondre à la demande de pointe et avoir une capacité supplémentaire suffisante au-delà des besoins de pointe afin de produire et de stocker de l'électricité supplémentaire lorsque le soleil et le vent sont disponibles. Cela signifie, en moyenne, qu'un système éolien/solaire pur devrait nécessairement avoir une capacité environ trois fois supérieure à celle d'un réseau d'hydrocarbures, c'est-à-dire qu'il faudrait construire 3 kW d'équipement éolien/solaire pour chaque 1 kW d'équipement de combustion éliminé. Cela se traduit directement par un handicap d’un facteur trois en termes de coûts, même si les coûts par kW étaient tous les mêmes[26].
 
Mais même cette capacité supplémentaire nécessaire ne suffirait pas. Les données météorologiques et d'exploitation montrent que la production mensuelle moyenne d'électricité éolienne et solaire peut diminuer de moitié au cours de la saison "basse" respective de chaque source[27].
 
Le mythe de la parité réseau
 
Comment ces inconvénients en termes de capacité et de coûts peuvent-ils correspondre aux affirmations selon lesquelles l'éolien et le solaire sont déjà égaux ou proches de la "parité réseau" avec les sources conventionnelles d'électricité? Les analyses de l’Agence d’Information sur l’Energie (EIA) des États-Unis et d'autres similaires font état d'un "coût nivelé de l'énergie" (Levelized Cost Of Energy) (CNE) pour tous les types de technologies d'énergie électrique. Dans les calculs du CNE de l'EIA, l'électricité provenant d'une éolienne ou d'un panneau solaire est calculée à 36 % et 46 %, respectivement, plus chère que celle provenant d'une turbine à gaz naturel, c'est-à-dire presque à parité[28]. Mais dans un avertissement crucial et rarement noté, l'EIA déclare : "Les valeurs CNE pour les technologies distribuables et non distribuables sont listées séparément dans les tableaux parce que leur comparaison doit être faite avec soin"[29]. (soulignement ajouté). En d'autres termes, les calculs du CNE ne tiennent pas compte de l'ensemble des coûts réels, quoique cachés, nécessaires pour exploiter une infrastructure énergétique fiable 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 et 365 jours par an - en particulier un réseau qui utilise uniquement l'énergie éolienne et solaire.
 
Le CNE considère le matériel de manière isolée tout en ignorant les coûts systémiques réels essentiels pour fournir une alimentation électrique 24h/24 et 7j/7. Tout aussi trompeur, un calcul CNE, malgré son illusion de précision, repose sur une variété d'hypothèses et de suppositions sujettes à controverse, sinon à partialité.
 
Par exemple, un CNE suppose que le coût futur des combustibles concurrents - notamment le gaz naturel - augmentera considérablement. Mais cela signifie que le CNE est plus une prévision qu'un calcul. C'est important parce qu'un "coût nivelé" utilise une telle prévision pour calculer un coût moyen présumé sur une longue période. L'hypothèse selon laquelle les prix de l'essence augmenteront est en contradiction avec le fait qu'ils ont diminué au cours de la dernière décennie et avec les preuves que les bas prix sont la nouvelle norme dans un avenir prévisible[30].
 
L'ajustement du calcul du CNE pour tenir compte d'un avenir où les prix du gaz n'augmenteront pas radicalement augmente l'avantage du CNE du gaz naturel par rapport au vent et au soleil.
 
Un CNE intègre une caractéristique encore plus subjective, appelée "taux d'actualisation", qui permet de comparer la valeur de l'argent aujourd'hui à celle de demain. Un taux d'actualisation faible a pour effet de modifier le résultat dans le sens de rendre plus attrayant le fait de dépenser un capital précieux aujourd'hui pour résoudre un problème (théorique) futur. Les partisans de l'utilisation de faibles taux d'actualisation supposent essentiellement une croissance économique lente [31].
 
Un taux d'actualisation élevé suppose en fait qu'une société future sera beaucoup plus riche qu'aujourd'hui (sans parler d'une meilleure technologie)[32]. Les travaux de l'économiste William Nordhaus dans ce domaine, préconisant l'utilisation d'un taux d'actualisation élevé, lui ont valu un prix Nobel en 2018.
 
Un CNE exige également une hypothèse sur les facteurs de capacité moyens sur plusieurs décennies, la part de temps pendant laquelle l'équipement fonctionne réellement (c.-à-d. le temps réel, et non théorique, pendant lequel le soleil brille et le vent souffle). L'EIA suppose, par exemple, des facteurs de capacité de 41 % et 29 %, respectivement, pour l'éolien et le solaire. Mais les données recueillies sur les parcs éoliens et solaires en exploitation révèlent des facteurs de capacité médians réels de 33 % et 22 %[33]. La différence entre un facteur de capacité de 40 % et un facteur de capacité de 30 % signifie que, sur la durée de vie de 20 ans d'une éolienne de 2 MW, 3 millions de dollars de production énergétique prévus dans les modèles financiers ne pourront exister, et ce pour une éolienne dont le coût initial en capital s'élève à environ 3 M$.
 
Les facteurs de capacité des parcs éoliens américains se sont améliorés, mais à un rythme lent d'environ 0,7 % par année au cours des deux dernières décennies[34]. Ce gain a été réalisé principalement en réduisant le nombre d'éoliennes par unité de surface essayant de récupérer l'air en mouvement, ce qui a entraîné une augmentation d'environ 50 % de la surface moyenne utilisée par unité d'énergie éolienne.
 
Les calculs du CNE incluent raisonnablement les coûts tels que les taxes, le coût d'emprunt et l'entretien. Mais là aussi, les résultats mathématiques donnent une impression de précision tout en cachant des hypothèses. Par exemple, les hypothèses concernant les coûts d'entretien et le rendement des éoliennes à long terme peuvent être trop optimistes. Les données du Royaume-Uni, qui se trouve plus loin sur la trajectoire privilégiée par le vent que les États-Unis, indiquent une dégradation beaucoup plus rapide (moins d'électricité par éolienne) que prévu initialement[35].
 
Pour résoudre au moins un problème lié à l'utilisation du CNE comme outil, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) a récemment proposé l'idée d'un CNE, ou CNEVA, " à valeur ajoutée ", pour inclure les éléments de flexibilité et intégrer les implications économiques de la distribution. Les calculs de l'AIE utilisant la méthode CNEVA ont abouti à un coût du charbon, par exemple, bien plus bas que l'énergie solaire, avec une pénalité de coût qui s'accroît à mesure que la part du solaire dans le réseau augmente[36].
 
On pourrait s'attendre à ce que, bien avant qu'une grille ne soit à 100 % éolienne/solaire, les types de coûts réels décrits ci-dessus devraient déjà être visibles. Il se trouve que, quel que soit le CNE présumé, nous avons des preuves de l'impact économique de l'augmentation de l'utilisation de l'énergie éolienne et solaire.
 
 
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