Les solutions industrielles existent moins, mais il en existe. Les points de vue sont encore plus divergents, mais à la limite, un pays ou une région pourrait choisir un modèle industriel différent de celui du voisin sans inconvénient majeur du point de vue de la réduction des rejets.
Les solutions organisationnelles ? il y a des prescripteurs mais les mesures sont tellement impopulaires que les politiques reculent devant leur mise en œuvre. Pendant ce temps la production de CO2 s’accélère, et il n’y a aucune raison de penser qu’on va inverser le courant à court terme.
Normalement il faudrait non seulement cesser de faire croître les rejets mais après une stabilisation, les faire décroître et même, pourquoi pas, retirer du CO2 de l’atmosphère.
Notre attitude est analogue à celle d’une personne, qui jetterait des immondices dans votre chambre et qui, devant vos protestations, promettrait de ne pas en jeter plus qu’aujourd’hui. Vous seriez alors en droit de lui demander d’arrêter immédiatement ses rejets et de ramasser les déchets qu’il a déjà jetés.
Il est extrêmement difficile de retirer artificiellement le CO2 de l’atmosphère, mais la Terre s’en charge toute seule pour moitié. Au minimum notre objectif devrait être de ne pas dépasser ce que la Terre peut éliminer.
Finalement la ressource la plus rare c’est le temps. Il faut transformer la société, et les processus en causes pour ce genre de transformation, sont obligatoirement longs. La bonne approche c’est faire feu de tout bois pour gagner du temps et de ne refuser aucune solution qui va dans le bon sens. Le contraire des ayatollahs de la solution unique.
Seconde chance?
Pour les réserves de combustibles nucléaires on est à peu près dans la même situation :
Les réserves d’uranium sont relativement peu abondantes si on se limite à l’uranium 235 et respectable si on considère aussi l’uranium 238. Or il est nécessaire de commencer l’exploitation de l’uranium 235 pour produire du plutonium 239 ou de l'uranium 233 pour constituer le chargement initial d'un surgénérateur. Une fois ce chargement initial constitué, on ne craint plus la pénurie car l'uranium 238 et le thorium 232 sont relativement abondant, et le réacteur produit à partir de ces éléments plus de combustible qu'il n'en consomme (c'est ce qui motive son nom). Si on se contente de " brûler " l’uranium 235 sans l’utiliser pour amorcer les stocks des combustibles de deuxième génération, on n’aura pas de seconde chance.
On a donc une grande responsabilité envers les générations futures. On pourrait penser que de toute façon les réserves seront bien épuisées un jour, mais les réserves de combustible de seconde génération semblent suffisantes pour assurer la transition avec l'exploitation civile de l'énergie de fusion thermonucléaire. Cette dernière énergie est considérée comme illimitée à l’échelle des générations humaines.
Peux-t-on supprimer les rejets de CO2 de la France?
On peut donc inciter à plus de consommation électrique jusqu’à être proche de 100% pour ce qui concerne les infrastructures fixes. Pour les transports terrestres l'hydrogène à la demande ou le véhicule hybride préconisent des solutions qui diminueraient fortement leurs émissions.
Comment compenser le reliquat d'émission et les consommations de l’aviation par exemple ? Il n’y a que le puits de carbone comme solution possible.
Une possibilité serait de produire du méthanol à partir de la biomasse, avec incorporation d'énergie externe sans carbone, et de récupérer en le comprimant le gaz carbonique produit par l'utilisation du méthanol, pour le séquestrer dans des sites géologiques profond au lieu de le recycler. On aurait là un début de retrait du CO2 de l'atmosphère.
On propose aussi un puits artificiel qui consiste à produire du combustible liquide à partir du gaz carbonique de l'air en utilisant l'énergie nucléaire.
On peut alors imaginer un scénario pour la France : D'après le rapport peacking of world oil production le taux de pénurie de carburant liquide sera rapidement de deux millions de barils/jour par an, ce qui donne une panne sèche 43 ans après le début du déclin, il faudrait donc qu'en 40 ans à partir d'aujourd'hui (pour tenir compte de la monté en charge administrative et technique) la France soit capable de se passer complètement des importations de carburant liquide.
Il faut construire 4 fois moins de centrale nucléaires pour produire du carburant liquide à partir de la biomasse que pour le faire à partir de l'air et de l'eau. Comme on a vu que ce dernier procédé nécessiterait la construction de 100 EPR et comme on ne peut pas espérer couvrir plus de 40% des besoins à partir de la biomasse du fait de la disponibilité des terres nécessaires il en résulte qu'il faut construire 70 EPR en 40 ans.
Le taux de construction est de 3 à 4 EPR par an si on veut prendre en compte une augmentation probable des besoins et le remplacement des centrales existantes. C'est un taux que la France a connu lors du lancement du plan Messmer et qui est donc tout à fait possible industriellement. Par compte l'acceptation sociale n'est pas garantie et il faudrait passer assez vite à la 4ème génération de réacteurs pour que la durabilité du nucléaire soit assurée.
Peux-t-on gérer la pénurie de carburant qui s'annonce?
Ce point est important car les pénuries engendrent soit des prix élevés si la ressource est obtenue par le plus offrant, soit des guerres si certains cherchent à monopoliser la ressource et le plus souvent les deux.
Notre point de vue est qu'il est relativement facile de disposer d'énergie dans les structures fixes, grâce à l'énergie nucléaire, au sens où on peut produire un plan qui évite la pénurie. Il est aussi possible de produire des carburants à partir du charbon sans craindre immédiatement la pénurie. Mais le rapport peacking of world oil production montre que ce n'est pas facile et qu'il faut anticiper. Il est vraisemblable qu'il faut aussi anticiper l'augmentation des usages de l'énergie utilisée dans les structures fixes.
Les procédés thermochimiques de production de carburant de synthèse se terminent tous par une synthèse des carburants à partir des gaz générés lors des étapes amont. Ces procédés ont besoin de chaleur qui est produite en utilisant une partie de l'énergie contenue dans les matières en entrée de la transformation. Cette utilisation de l'énergie interne fait baisser le rendement.
Pour optimiser la production à court terme de carburant on suppose :
- Qu'on s'interdit d'utiliser le charbon car c'est une catastrophe écologique.
- Qu'on cherche les rendements maximum du point de vue de la quantité de carburants produits en incorporant toute l'énergie nucléaire qu'on est capable de produire au delà des besoins pour la production électrique.
Bien que le gaz soit une énergie fossile, il n'est pas interdit de s'en servir dans un premier temps car c'est la plus vertueuse des énergies fossiles et que l'on cherche d'abord à éviter les pénuries.
La préparation des biomasses et en particulier le séchage pourrait utiliser l'énergie qui est perdue dans les tours de refroidissement des centrales nucléaires.
Ces usines devraient pouvoir fonctionner à des régimes variables et supporter un arrêt rapide pour que la production d'électricité soit toujours prioritaire. Dans ces conditions les centrales nucléaires devraient toujours produire au maximum de leurs possibilités, la variabilité des besoins électriques étant assuré par la souplesse de la production des carburants de synthèse.
Dans un deuxième temps une place plus grande serait faite à l'électrolyse de l'eau et au gaz carbonique de l'air pour s'affranchir de l'utilisation du gaz naturel.
Sortir du carbone fossile
Il est important de favoriser les énergies renouvelables, mais cela ne suffit pas, il est important de lutter aussi contre le carbone fossile. Certains pourraient penser que le prix du pétrole a commencé une ascension qui n’est pas près de se terminer et que cela va limiter naturellement l’usage des combustibles carbonés, pour de simple raisons économiques.
Mauvaise nouvelle, le charbon est disponible partout et on peut fabriquer du carburant de synthèse à partir de celui-ci pour un prix qui serait équivalent à celui qui résulterait de la production à partir d’un baril de pétrole évalué entre 67 et 82 $. Bien sur le prix du pétrole peut être plus élevé temporairement car les capacités de production vont manquer longtemps. Ce prix signifie aussi qu'il n'y a pas de rétroaction positive du prix du pétrole sur le prix du charbon, mais cela semble devoir être le cas tant qu'il n'y a pas une pénurie globale de l'énergie. Enfin ce prix peut être dépassé si c'est la valeur du dollar qui diminue et comme cela semble devoir être bientôt le cas (le 10/10/10) il vaut mieux le préciser pour ne pas décrédibiliser la prédiction.
Le rapport "Peaking of world oil production" prône ouvertement ce type de solution : il n'est pas contre le développement d'autres types d'énergie, au sens où cela peut relâcher un peu les contraintes mais le cœur des propositions est quantitativement de produire du carburant de synthèse à partir du charbon. On peut penser que la Chine est en train de mettre en œuvre ce type de solution.
Economiquement, à long terme, le prix du baril de pétrole est majoré par ce prix d’un produit parfaitement substituable. D’où la nécessité de taxer le carbone (charbon et pétrole) si on veut inciter économiquement à la réduction des rejets de CO2.
Entre 1990 et 2005 les émissions de gaz carbonique dues à l'activité humaine sont passées de 27 milliards de tonnes à 38 milliards de tonnes. La tentation est grande, pour les pays en développement, de recourir plus largement au charbon, dont l'exploitation massive accroîtrait encore les émissions de gaz à effet de serre.
L’accent qui est mis par certains sur la sortie du nucléaire est un contre sens complet car il est au contraire de la plus extrême urgence de sortir du carbone fossile. Entre deux maux il faut savoir choisir le moindre.
Aurons-nous le temps
On discute ici des solutions, on montre des exemples de possibles, mais la grande question c'est le temps.
L'article en question met en exergue les difficultés:
- Les solutions existent mais ne sont pas aujourd’hui économiquement compétitives.
- Les solutions requièrent le plus souvent un délai incompressible de 20 à 30 ans pour être déployées massivement.
- Les solutions ne commenceront à être développées réellement que lorsque le citoyen aura réussi à persuader le consommateur de financer les surcoûts associés, et donc les décideurs politiques de proposer le cadre de cohérence nécessaire.
- Le problème est de savoir si les quantités requises de gaz et de pétrole seront fournies à temps à partir des gisements connus et à découvrir.
- Vers 2020 les tensions sur la disponibilité des carburants liquides ne pourront être résolues qu'en faisant appel au charbon
- Mais le rendement de conversion du charbon en carburants liquides synthétiques est mauvais ce qui multiplie par deux ou trois les besoins en charbon.
- A l'horizon où ces tensions apparaîtront, la capture – stockage du CO2 ne sera certainement pas généralisée.
Les grands pays charbonniers ont-ils encore le temps et la volonté de réduire fortement leurs besoins de carburants liquides dans le transport à horizon 2020, seul moyen de limiter un recours massif aux carburants liquides de synthèse à partir de charbon.
Il semble donc qu'un délai incompressible de 25 à 30 ans soit nécessaire pour déployer des solutions qui relâchent les contraintes de manière significative. Les 10 premières années, les inflexions sont très faibles ce qui implique d’agir vite pour amortir les tensions.
Conclusion
- Robert Hirsch : On va manquer de combustibles fossiles (pour lui il n'y a pas encore de problème d'énergie) des solutions industrielles existent mais le déploiement de ces solutions va prendre 20 ans et il faudrait tout de suite des programmes d'urgence (décroissance à partir de 2015 -2020)
- Bamberger et Rogeaux : Si on migre vers des solutions limitant les rejets de CO2 sans tenir compte de la pénurie des carburants liquides qui aura lieu vers 2020 on risque une grave rechute car on ne pourra faire autrement que de produire du carburant de synthèse à partir du charbon.
- Henri Prévot : Il y a trop de carbone fossile à disposition de l'humanité, il faut d'urgence favoriser l'énergie sans rejet de CO2.
- Jean Marc Jancovici : La comptabilité et le PIB sont faussaire, on ne compte pas le prix d'une ressource pourtant limitée mais seulement le travail pour l'extraire, il faut réduire sa consommation, on est déjà en décroissance sans s'en rendre compte. L'énergie nucléaire serait certes une solution temporaire mais on ne va quand même pas construire 4000 centrales nucléaires.
Il est clair que dans un tel scénario le prix des combustibles fossiles va augmenter fortement car il y aura pénurie du fait du temps nécessaire pour en produire à partir du charbon.
Même si on ne résout pas le problème global, il est donc avantageux d'anticiper. On pourrait par exemple éviter d'utiliser du combustible liquide pour des usages dans des structures fixes ou d'autres énergies pourraient être utilisées. L'électricité peut remplacer la plupart de ces usages et peut être produite sans carbone.
On pourrait ensuite favoriser des combustibles de synthèse à partir de la biomasse avec des apports d'énergie extérieurs sans carbone ou produire du combustible liquide à partir du gaz carbonique de l'air en utilisant l'énergie nucléaire.
Enfin on peut espérer que devant le prix des combustibles liquides, les habitudes changent un peu, laissant une place aux véhicules électriques pour les déplacements urbains et les distances courtes.
Mais la mise en œuvre de ce scénario ne peut se faire instantanément, ce sont des investissements lourds (centrale nucléaires) et des incitations pour changer les comportements de milliers d'acteurs. Comment changer le comportement de tout un chacun? La taxe carbone est un moyen crédible, son produit pourrait être affecté aux investissements nécessaires.
Accueil Contact : richard.rutily@gmail.com