RÉUSSIR LA TRANSITION
 

Ce site essaye d'analyser l'impact de l'énergie et de sa production sur le développement.
L'auteur de ce site se considère comme prônant l'écologie, bien qu'il soit favorable à l'énergie nucléaire.
La justification de ce point de vue est l'un des sujets abordés dans ce site.

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Glisser vers le bas de l'asymptote des renouvelables
 
Les prévisions d'une baisse rapide et continue des coûts de l'éolien, du solaire et des batteries sont inspirées par les gains que ces technologies ont déjà connus. Les deux premières décennies de commercialisation, après les années 1980, ont vu les coûts être divisés par dix. Mais les améliorations suivent maintenant ce que les mathématiciens appellent une asymptote. Pour parler en termes économiques, les améliorations sont soumises à une loi des rendements décroissants où chaque gain successif est plus petit que le précédent (figure 4).
 
 
C'est un phénomène normal pour tous les systèmes physiques. Tout au long de l'histoire, les ingénieurs ont réalisé des gains importants au cours des premières années de développement d'une technologie, qu'il s'agisse d'éoliennes ou de turbines à gaz, de navires à vapeur ou à voile, de moteurs à combustion interne ou de cellules photovoltaïques. Avec le temps, les ingénieurs parviennent à se rapprocher des limites de la nature. On se vante alors de gains d'efficacité ou de vitesse, ou d'autres mesures comme la densité énergétique (puissance par unité de poids ou de volume) qui ne se mesurent pas en pourcentages à deux chiffres mais en fractions de pourcent. Qu'il s'agisse de l'énergie solaire, de l'énergie éolienne ou des turbines d'avion, les gains de performance sont maintenant tous mesurés en pourcentages à un chiffre. De tels progrès sont économiquement significatifs mais ne sont pas révolutionnaires.
 
Les limites imposées par la physique aux systèmes énergétiques sont sans équivoque. Les panneaux solaires ne peuvent pas convertir plus de photons que ceux qui arrivent du soleil. Les éoliennes ne peuvent pas extraire plus d'énergie qu'il n'en existe dans les flux cinétiques de l'air en mouvement. Les batteries sont limitées par la physico-chimie des molécules choisies. De même, les moteurs d'avion peuvent s'améliorer autant que l’on voudra, un A380 ne volera jamais sur la lune. Un moteur à mazout ne peut pas produire plus d'énergie que ce que contient la physico-chimie des hydrocarbures.
 
Les moteurs à combustion sont soumis à ce qu'on appelle la limite d'efficacité de Carnot, qui dépend de la température de combustion et de l'énergie contenue dans le carburant. Ces limites sont connues et bien comprises depuis longtemps. En théorie, à une température suffisamment élevée, 80 % de l'énergie chimique du combustible peut être transformée en énergie mécanique[74] En utilisant les matériaux à haute température d'aujourd'hui, les meilleurs moteurs à hydrocarbures convertissent environ 50 % à 60 % en énergie mécanique. Il y a encore de la place pour des améliorations, mais rien qui ressemblent aux progrès révolutionnaires d’un facteur 10 voire presque 100 réalisés dans les deux premières décennies suivant leur invention. Les technologies éoliennes et solaires se trouvent maintenant au même endroit sur cette courbe technologique asymptotique.
 
Pour le vent, la limite d’efficacité est appelée limite de Betz, qui détermine la quantité d'énergie cinétique qu'une pale peut capter dans l'air ; cette limite est d'environ 60 %[75] Capturer toute l'énergie cinétique signifierait, par définition, qu’il ne reste plus aucun mouvement de l'air et donc rien à capter. Il faut qu'il y ait du vent pour que l'éolienne tourne. Les éoliennes modernes dépassent déjà les 45 % de conversion[76], ce qui laisse des gains sensibles à faire mais, comme pour les moteurs à combustion, rien de révolutionnaire[77] Une nouvelle amélioration d’un facteur 10 est impossible.
 
Pour les cellules photovoltaïques (PV) au silicium, la limite physique est appelée limite Shockley-Queisser : un maximum d'environ 33% des photons entrants sont convertis en électrons. Les PV commerciaux de pointe atteignent une efficacité de conversion un peu supérieure à 26 %, c'est-à-dire proche de la limite. Quoique que les chercheurs continuent de découvrir de nouvelles conceptions sans silicium qui offrent des améliorations de performance attrayantes, toutes sont soumises aux mêmes limites physiques, et toutes sont éloignées du stade de la faisabilité industrielle, sans parler encore de fabriquer à coût suffisamment bas[78] Il ne reste plus de facteur 10 à gagner[79].
 
Les progrès économiques futurs de l’éolien et du solaire seront des améliorations techniques progressives : des économies d'échelle en rendant les éoliennes énormes, hautes comme la Tour Montparnasse et des panneaux solaires tout aussi massifs, d'échelle industrielle d'une superficie de plusieurs kilomètres carrés. Pour les deux technologies, tous les composants clés sous-jacents - le béton, l'acier et la fibre de verre pour l'éolien, le silicium, le cuivre et le verre pour le solaire - sont déjà produits en masse et les courbes de coûts asymptotiques dans leurs propres domaines ont déjà été parcourues.
 
Bien qu'il n'y ait pas d’économies d'échelle surprenantes réalisables dans la chaîne d'approvisionnement, cela ne veut pas dire que les coûts ne peuvent pas s’améliorer. En fait, tous les processus de fabrication connaissent une amélioration continue de l'efficacité de la production à mesure que les volumes augmentent. Cette courbe d'expérience s'appelle la loi de Wright. (Cette " loi " a été documentée pour la première fois en 1936, car elle portait alors sur le défi de fabriquer des aéronefs à des coûts que les marchés pouvaient tolérer. De même, alors que l'aviation a pris son envol et a créé une grande industrie mondiale du transport, elle n'a pas éliminé l'automobile, ni le besoin de navires). On peut s'attendre à des coûts qui se réduisent de façon incrémentale avec l'expérience; mais, encore une fois, ce genre d'amélioration n’est pas révolutionnaire et il n’est pas de l’ordre du plausible qu’elle puisse engendrer une nouvelle économie énergétique.
 
En ce qui concerne les batteries modernes, il existe encore des options prometteuses pour des améliorations significatives de leur physique chimie sous-jacente. Les nouveaux matériaux autres que le lithium dans les laboratoires de recherche offrent jusqu'à 200 % et même 300 % de gain en performance inhérente[80] De tels gains ne sont cependant pas comparables aux progrès dix fois ou cent fois supérieurs des premiers jours du moteur à combustion[81] Les améliorations potentielles laisseront encore les batteries à des kilomètres de la véritable concurrence à savoir le pétrole.
 
Les lois de la physique impliquent qu’aucune subvention ni qu’aucune ingénierie de la Silicon Valley ou d'ailleurs ne puissent combler l'écart entre les batteries et le pétrole du point de vue de la densité d'énergie (Figure 5). L'énergie emmagasinée par unité de masse est la donnée critique pour les véhicules et, en particulier, les avions. A masse égale l'énergie potentielle maximale contenue dans le pétrole est d'environ 1 500 % supérieure à celle de la chimie du lithium[82]. C'est pourquoi les avions et les fusées sont propulsés par des hydrocarbures. Et c'est pourquoi une amélioration de 20 % de la propulsion thermique (éminemment faisable) est plus précieuse qu'une amélioration de 200 % des caractéristiques des batteries (encore difficile).
 
Enfin, en ce qui concerne les limites, il est pertinent de noter que les technologies qui ont déclenché l'exploitation du pétrole et du gaz de schistes en sont encore aux premiers stades du développement technique, contrairement aux technologies plus anciennes que sont l'éolien, le solaire et les batteries. Il est encore possible de décupler la quantité d'énergie qu'un appareil de forage peut extraire des schistes argileux avant d'approcher les limites physiques[83] Cela explique en partie pourquoi, au cours de la dernière décennie, le pétrole et le gaz de schiste ont augmenté 20 fois plus la production énergétique américaine en comparaison du vent et du soleil réunis[84].
 

La numérisation ne va pas Uberiser le secteur de l'énergie

 
Les outils numériques améliorent déjà et peuvent encore améliorer l’efficience dans des pans entiers de l'économie, et il est raisonnable de s'attendre à ce que les logiciels apportent encore des améliorations significatives à la fois dans l'efficacité des éoliennes, du solaire et des batteries et dans l'efficacité de la manière dont ces machines sont intégrées aux infrastructures. La logique numérique a amélioré, par exemple, le contrôle et donc l'efficacité énergétique des moteurs à combustion, et il en va de même pour les éoliennes. De même, le logiciel que symbolise Uber a montré que l'optimisation de l'efficacité de moyens de transport coûteux permet de réduire les coûts. Uberiser toutes sortes d'immobilisations est inévitable.
 
Uberiser le réseau électrique sans hydrocarbures est une toute autre affaire.
 
La demande de pointe, problème que les logiciels ne peuvent pas résoudre
 
Dans le monde de l'énergie, l'un des problèmes les plus épineux est l'adéquation optimale entre l'offre et la demande d'électricité (figure 6). Ici, les données montrent que les gens et la société en général aiment les services consommateurs d'électricité ce qui génère un écart croissant entre les pointes et les creux de la demande. Pour équilibrer un tel réseau sans utiliser d’hydrocarbures il faudra augmenter l’utilisation des batteries afin de répondre à ces pics.

 
 
Tout cela est pertinent pour encourager les VE. Pour ce qui est de la gestion de la nature cyclique de la demande, le transfert de la consommation de carburant des transports vers le réseau rendra la gestion des pointes beaucoup plus difficile. Les gens ont tendance à recharger au moment opportun ; c'est facile à faire avec du pétrole, étant donné sa facilité d'entreposage. Le ravitaillement en VE exacerbera la nature déjà cyclique de la demande sur le réseau.
 
Pour remédier à ce problème, on peut proposer d'encourager, voire d'exiger, le ravitaillement en VE en dehors des heures de pointe[85]. Mais on peut s’interroger aussi sur la popularité ou même la tolérance envers cette pratique.
 
Bien que les kilowattheures et les voitures - objectifs clés des prescriptions de la nouvelle économie des énergies - ne représentent que 60 % de l'économie dans ce secteur, la demande mondiale dans les deux cas n'est pas saturée depuis des siècles.

 

Les adeptes de l'écologie font des déclarations extravagantes sur l'effet des options de type Uber et des voitures autonomes. Cependant, les données montrent que les gains d'efficacité économique découlant de l'Uberisation ont jusqu'à présent augmenté l'utilisation des voitures et la congestion urbaine de pointe[86]. De même, de nombreux analystes voient maintenant les véhicules autonomes amplifier, et non atténuer, cet effet[87].
 
C'est parce que les gens, et donc les marchés, sont axés sur l'efficacité économique et non sur l'efficacité énergétique. La première peut être associée à une consommation réduite d'énergie, mais elle est aussi, et le plus souvent, associée à une demande accrue d’énergie. Une voiture consomme plus d'énergie par kilomètre qu'un cheval, mais elle offre d'énormes gains en efficacité économique. De même, les ordinateurs consomment beaucoup plus d'énergie que les crayons et le papier.
 
L'uberisation améliore l'efficacité énergétique, mais augmente la demande. Toute conversion d'énergie dans notre univers est peu efficace par nature : conversion du thermique en cinétique, de l’énergie des glucides en énergie musculaire, des photons en électrons, des électrons en données, etc.

Toutes ces conversions impliquent un certain coût énergétique, ou gaspillage, qui peut être réduit mais jamais éliminé. Mais, ce qui est ironique, c'est que l'histoire montre - comme les économistes l'ont souvent fait remarquer - que l'amélioration de l'efficacité énergétique entraîne une augmentation, et non une diminution, de la consommation d'énergie.
 
Si, à l'aube de l'ère moderne, les machines à vapeur abordables étaient restées aussi inefficaces que les premières qui ont été inventées, elles n'auraient jamais proliféré, pas plus que les gains économiques engendrés et la demande croissante en charbon qui en a découlé. Nous voyons la même chose avec les moteurs à combustion modernes. Les avions d'aujourd'hui, par exemple, sont trois fois plus économe en énergie que les premiers avions commerciaux de transport de passagers dans les années 1950[88], ce qui n'a pas réduit la consommation de carburant, mais a stimulé la circulation aérienne et, avec elle , a multiplié par quatre la consommation de carburéacteur[89].
 
De même, ce sont les gains étonnants de l'efficacité énergétique de l'informatique qui ont entraîné l'augmentation fulgurante du trafic de données sur Internet, ce qui s'est traduit par une consommation d'énergie beaucoup plus importante pour l'informatique. L'informatique et les communications mondiales, tout compte fait, consomment maintenant l'équivalent de 3 milliards de barils de pétrole par an, soit plus d'énergie que l'aviation mondiale[90].
 
Le but de l'amélioration de l'efficacité dans le monde réel, par opposition au monde politique, est de réduire le coût pour profiter des avantages d'un moteur ou d'une machine qui consomme beaucoup d'énergie. Tant que les gens et les entreprises veulent davantage de bienfaits, la baisse des coûts entraîne une augmentation de la demande qui, en moyenne, dépasse toutes les "économies" réalisées grâce aux gains d'efficacité. La figure 7 montre comment cet effet d'efficacité s'est manifesté pour l'informatique et le transport aérien [91].
 
 
Bien sûr, la croissance de la demande d'un produit ou d'un service spécifique peut s'atténuer dans une société (riche) lorsque les limites sont atteintes : la quantité de nourriture qu'une personne peut manger, les kilomètres par jour qu'elle est prête à conduire, le nombre de réfrigérateurs ou d'ampoules par ménage, etc. Mais un monde de 8 milliards d'habitants est loin d'atteindre de telles limites.
 
Le tableau macroéconomique de la relation entre l'efficacité énergétique et la demande mondiale d'énergie est clair (figure 8). La technologie n'a cessé d'améliorer l'efficacité énergétique de la société. Mais loin de mettre fin à la croissance énergétique mondiale, l'efficacité énergétique l'a rendue possible. L'amélioration des coûts et de l'efficacité apportée par les technologies numériques accélérera cette tendance, au lieu de l'inverser.
 
 

Les révolutions énergétiques sont encore au-delà de l'horizon

 
Lorsque les 4 milliards d'habitants les plus pauvres de la planète augmenteront leur consommation d'énergie pour atteindre seulement 15 % du niveau par habitant des économies développées, la consommation mondiale d'énergie augmentera de l'équivalent de la valeur totale de la demande des États-Unis[92] Face à de telles projections, il est proposé que les gouvernements restreignent la demande, voire interdisent certains comportements consommateurs d'énergie. Un article universitaire proposait que " la vente de versions gourmandes en énergie d'un appareil ou d'une application pourrait être interdite sur le marché, et les limitations pourraient devenir progressivement plus strictes d'année en année, pour stimuler les gammes de produits économes en énergie "[93] D'autres ont proposé de " réduire la dépendance énergétique " en réduisant la taille des infrastructures ou en exigeant le recours au transport collectif ou au co-voiturage[94].
 
Le problème ici n'est pas seulement que, inévitablement, les plus pauvres voudront - et pourront - vivre davantage comme les plus riches, mais que les nouvelles inventions créent continuellement de nouvelles demandes d'énergie. L'invention de l'avion signifie que chaque milliard de dollars en nouveaux avions à réaction produit génère quelque 5 milliards de dollars en carburant d'aviation consommé pendant deux décennies pour les faire fonctionner. De même, chaque milliard de dollars de centres de données construits consommera 7 milliards de dollars d'électricité au cours de la même période[95] Le monde achète les deux au rythme d'environ 100 milliards par an[96].
 
La marche inexorable du progrès technologique pour les objets qui utilisent de l'énergie crée l'idée séduisante que quelque chose de radicalement nouveau est aussi inévitable dans les moyens de produire de l'énergie. Mais parfois, l'ancienne technologie ou la technologie établie est la solution optimale et presque à l'abri des changements. Nous utilisons encore la pierre, la brique et le béton, qui datent tous de l'Antiquité. Nous le faisons parce qu'ils sont optimaux, pas "vieux". Tout comme la roue, les conduites d'eau, les fils électriques... la liste est longue. Les hydrocarbures sont, jusqu'à présent, le meilleur moyen de satisfaire la plupart des besoins et désirs de la société.
 
Il y a plus d'une décennie, Google a concentré ses talents d'ingénieur sur un projet appelé "RE<C", visant à développer des énergies renouvelables moins chères que le charbon. Après l'annulation du projet en 2014, les ingénieurs principaux de Google ont écrit : " Les améliorations progressives aux technologies [de l’énergie] existantes ne suffisent pas ; il nous faut quelque chose de vraiment révolutionnaire.... Nous n'avons pas les réponses "[97] Ces ingénieurs ont redécouvert les types de physique et les réalités d'échelle mis en évidence dans ce document.
 
Une révolution dans le domaine de l’énergie ne viendra que des sciences fondamentales. Ou, comme l'a dit Bill Gates, le défi appelle des " miracles " scientifiques[98] qui émergeront de la recherche fondamentale et non des subventions pour les technologies d'hier. L'Internet n'est pas né en subventionnant le téléphone commuté, ni le transistor en subventionnant les tubes à vide, ni l'automobile en subventionnant les chemins de fer.
 
Cependant, 95 % des dépenses de R-D du secteur privé et la majorité de la R-D du gouvernement sont consacrées au " développement " et non à la recherche fondamentale[99] Si les décideurs veulent une révolution dans le domaine de l’énergie, la mesure la plus importante consisterait à recentrer radicalement et à élargir le soutien à la recherche scientifique fondamentale.
 
Les hydrocarbures - pétrole, gaz naturel et charbon - sont la principale ressource énergétique mondiale aujourd'hui et continueront de l'être dans un avenir prévisible. Les éoliennes, les panneaux solaires et les batteries, quant à eux, constituent une petite source d'énergie, et la physique exige qu'ils le demeurent. En attendant, il n'y a tout simplement aucune possibilité que le monde subisse - ou puisse subir - une transition à court terme vers une " nouvelle économie énergétique ".
 
 

Endnotes

 
https://media4.manhattan-institute.org/sites/default/files/R-0319-MM.pdf#page=20
 
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